FORMULES

Comment je me suis mis à écrire le LIVRE


Bernardo Schiavetta et Philippe Bruhat

Projet Raphèl


1. Un poème sans fin écrit dans toutes les langues du monde

RAPHÈL est un poème multilingue, babélique, constitué par un collage de citations en toutes les langues du monde. La partie actuellement réalisée comporte une septantaine de citations en langues naturelles (dans la tradition biblique, le nombre des « nations » issues de Babel est fixé symboliquement à 70 ou à 72). Le poème inclut également des échantillons de langues artificielles, hybrides, forgées, ainsi que des onomatopées, des phonétismes, des polyglossies, des glossolalies, etc.
RAPHÈL est écrit en lettres romaines, augmentées des signes spéciaux nécessaires à la transcription des langues qui utilisent d’autres types de caractères.
La grande multiplicité de toutes ces langues fait que quasiment n?importe quel individu maîtrisant l?alphabet latin peut comprendre au moins un vers du poème, mais cela implique aussi que personne ne peut comprendre l?ensemble du poème sans passer par une traduction. Pour cette raison, des traductions monolingues (en français, anglais, espagnol, allemand, etc.) accompagnent en parallèle l?original babélique.
Tout le poème s’écrit dans l’interligne d’une citation de la Divine Comédie qui lui sert d’épigraphe.


2. L’épigraphe de RAPHÈL

RAPHÈL se construit donc comme l’amplification indéfinie de son épigraphe : Inferno XXXI, vers 67 et 68. Dans ce passage de l’Enfer, Dante met dans la bouche d’un damné, le géant Nemrod, une phrase en langue imaginaire :

Inferno, XXXI, 67, 68

« Raphèl maÿ amèch zabì almì »
Cominciò a gridar la fiera bocca
Enfer, XXXI, 67, 68

« Raphèl maÿ amèch zabì almì »
Commença à crier l’atroce bouche

Dans la tradition rabbinique suivie par Dante, Nemrod est le premier roi de Babel, celui qui a fait construire la Tour qui devait atteindre le ciel. Il est le responsable de la confusion des langues. Sa peine éternelle est à la mesure de son péché, car non seulement il est condamné à ne pas comprendre les langues des autres, mais encore à que jamais la sienne ne puisse être comprise de quiconque. Dans l'univers fictionnel dantesque, la langue de Nemrod est donc incompréhensible dans l’absolu, puisque son incompréhensibilité a été établie pour toujours par un décret divin. Une telle phrase ne devrait susciter que l'arrêt de toute interprétation. Mais on peut, tout de même, être tenté de l’interpréter. Le projet de RAPHÈL n’est autre que le défilé, forcément infini, de cette glose indue.


3. La strophe zéro de RAPHÈL

Le texte proprement dit du poème RAPHÈL commence par une première strophe de dix vers, la strophe zéro, qui amplifie le premier interligne de son épigraphe :

« Raphèl maÿ amèch zabì almì »
---------------interligne------------
Cominciò a gridar la fiera bocca

Huit vers asémantiques s?intercalent ensuite entre ces deux vers de Dante, donnant comme résultat les dix vers de la strophe zéro :


Raphèl maÿ amèch zabì almì
Raraêl abra bracha merphergar
Raphèl maÿ amèch zabì almì
Habla horem égiga goramen
Raphèl maÿ amèch zabì almì
Bababadalgharaghta
Raphèl maÿ amèch zabì almì
Kikikou ritchi tchitchi tzi-tzi-tzi
Raphèl maÿ amèch zabì almì
Cominciò a gridar la fiera bocca « Raphèl maÿ amèch zabì almì
Raraêl abrabracha merphergar,
Raphèl maÿ amèch zabì almì
Habla horem égiga goramen,
Raphèl maÿ amèch zabì almì
Ba ! ba ! ba ! dalgharaghta !
Raphèl maÿ amèch zabì almì
Kikikou ritchi tchitchi tzi-tzi-tzi,
Raphèl maÿ amèch zabì almì… »
Commença à crier l?atroce bouche?


Ces huit vers asémantiques amplifient le discours incompréhensible de Nemrod. Ils comportent des répétitions de la phrase « Raphèl maÿ… » entrecoupées des citations de pseudo-langues : quelques voces mysticæ du Grand Papyrus Magique de Paris (Raraêl abra bracha merphergar) ; un fragment de Jolifanto Bambo (Karawane) du dadaïste suisse Hugo Ball (Habla horem égiga goramen) ; un fragment des « coups de tonnerre » du Finnegans Wake de Joyce (Bababadalgharaghta) ; et un fragment de Zanguezi du futuriste russe Khlebnikov (Kikikou ritchi tchitchi tzi-tzi-tzi).


4. Première amplification de la Strophe zéro

Ensuite, au niveau de chaque interligne de la strophe zéro, huit nouveaux vers viennent s’intercaler selon le même processus d’amplification que nous avons déjà vu à l’œuvre.
Ainsi prend naissance un Premier Cycle de dix strophes décimales (= composées de dix vers), dont la première commence avec le premier vers de la strophe zéro, incorpore ensuite huit nouveaux vers, et finit avec le deuxième vers de la strophe zéro :

Raphèl maÿ amèch zabì almì
--8 nouveaux vers intercalés---
Habla horem égiga goramen,

Ce processus d’amplification continue jusqu’au dernier interligne, lequel se place après le dernier vers, pour marquer que la strophe zéro se boucle sur elle-même. Autrement dit, la dernière et dixième strophe du premier cycle commence avec le dernier vers de la strophe zéro, incorpore ensuite huit nouveaux vers, et finit avec le premier vers de la strophe zéro :

Cominciò a gridar la fiera bocca…
--8 nouveaux vers intercalés---
Raphèl maÿ amèch zabì almì

Dans ce premier cycle de dix strophes décimales (10 x 10 = 100 vers), chacun des nouveaux vers intercalés est écrit dans une langue différente, multiplication babélique induite par la phrase de Nemrod.
Il faut bien préciser maintenant que le texte original de RAPHÈL est multilingue. Autrement dit, chaque vers a été écrit d’emblée en sa propre langue (français, mongol, arapaho, pali, gaélique, wolof, etc). Certes, on peut douter qu’un seul auteur puisse disposer d’autant de compétences linguistiques, mais l’une des techniques propres au projet fournit le moyen de surmonter ce problème.
En effet, techniquement, RAPHÈL est (en plus de ses caractéristiques hypertextuelles spécifiques qui seront décrites plus loin) un centon multilingue. Autrement dit, hormis les annexes en prose, le corps entier du poème est un collage de citations. Chaque citation provient donc d’un texte composé par un auteur qui maîtrisait la langue (naturelle ou artificielle) dont il s’est servi.
Toutes les strophes du premier cycle peuvent donner naissance à dix nouveaux cycles de dix strophes chacun (10 cycles de 10 strophes de 10 vers), et ainsi de suite, indéfiniment.
Actuellement cinq strophes du Deuxième Cycle sont déjà terminées et les deux suivantes sont en cours de réalisation.

5. Un échantillon de RAPHÈL

Voyons maintenant un échantillon du poème : la strophe qui amplifie le premier interligne de la strophe zéro. Elle est notée 1.1 (c’est-à-dire : Cycle 1, Strophe 1). Les langues utilisées sont les suivantes : la pseudo-langue de Nemrod, le français (V. Hugo), l’anglais (W. Shakespeare), l’espagnol (J.L. Borges), l’italien (Michel-Ange), le breton (Per-Jakez Hélias), l’inuit (F.Barnum), des phonétismes dadaïstes (K. Schwitters), le védique (Rig-Véda), et finalement des voces mysticæ gréco-égyptiennes du Grand Papyrus Magique de Paris (pour ces sources, voir note n° 1) :

1.1 (Texte babélique)

Raphèl maÿ amèch zabì almì
Nemrod comme sous la tempête
Engenders thunder in his breast
Y toda la discordia de Babel
Per la sua bocca parla
Pe youh pe yez
Kithlun mumiqchaqcheu una
Fümms bö wö tää zää Uu pögiff…
Yadi va
Rarael abrabracha merphergar 1.1

(Une traduction française libre)

Raphèl maÿ amèch zabì almì ?
Nemrod, comme s’il était sous la tempête,
Engendre le tonnerre en sa poitrine
Et la discorde entière de Babel
Parle par sa bouche.
Est-ce un hurlement, est-ce un langage,
Comment pourrais-tu traduire cela ?
Fümms bö wö tää zää Uu pögiff…
Ou bien, peut-être,
Rarael abrabracha merphergar ?

6. RAPHÈL comme hypertexte

RAPHÈL est en réalité un ensemble hypertextuel formé par le poème et par de nombreuses annexes.
Le poème proprement dit se présente comme la série indéfinie de strophes de dix vers déjà décrites. Les annexes comprennent des textes liminaires (le titre et les sous-titres, l’épigraphe), et des textes latéraux, sous forme de notes et de commentaires (majoritairement en prose), qui développent aussi bien des points particuliers du poème que des points particuliers des annexes elles-mêmes.
Les strophes et les annexes constituent ainsi deux séries à développement illimité :

— Un déploiement maximal des liens situés entre les lignes, dans tous les interlignes du texte en vers.
— Un déploiement maximal des liens qui soulignent chaque ligne du texte en vers.

7. Le principe de la double amplification réglée

Toutes les strophes de RAPHÈL répètent donc le même modèle hypertextuel abstrait que nous appellerons une hyperstrophe (voir figure n° 1).

FIGURE n° 1
Modèle abstrait d’hyperstrophe

–––lien hypertextuel linéaire–––
----lien hypertextuel interlinéaire----
–––lien hypertextuel linéaire–––
----lien hypertextuel interlinéaire----
–––lien hypertextuel linéaire–––
----lien hypertextuel interlinéaire----
–––lien hypertextuel linéaire–––
----lien hypertextuel interlinéaire----
–––lien hypertextuel linéaire–––
----lien hypertextuel interlinéaire----
–––lien hypertextuel linéaire–––
----lien hypertextuel interlinéaire----
–––lien hypertextuel linéaire–––
----lien hypertextuel interlinéaire----
–––lien hypertextuel linéaire–––
----lien hypertextuel interlinéaire----
–––lien hypertextuel linéaire–––
----lien hypertextuel interlinéaire----
–––lien hypertextuel linéaire–––
----lien hypertextuel interlinéaire----


Cette hyperstrophe peut être visualisée de plusieurs façons. C’est pour faciliter sa lecture linéaire et tabulaire que ses lignes sont ici justifiées à gauche et disposées « en drapeau », selon la typographie habituelle des poèmes. Toutefois, il est nécessaire de bien rappeler une particularité essentielle des interlignes. Certes, ceux-ci s’intercalent, de manière prévisible et successive entre la première et la deuxième ligne, entre la deuxième et la troisième, etc., etc., mais le tout dernier interligne se place, comme nous l’avons déjà vu dans les échantillons de RAPHÈL, après la dernière ligne, pour marquer que chaque strophe se boucle sur elle-même. Autrement dit, le dernier interligne vient se placer idéalement entre la dernière et la première ligne. Pour cette raison, toute hyperstrophe peut prendre une forme circulaire (ou cylindrique) animée d’un mouvement cyclique de rotation (dans le sens de la lecture des caractères romains). Le fonctionnement des liens interlinéaires est donc d’emblée potentiellement cyclique. Ce type de structure extrapole et s’inspire directement d’un antécédent historique des hypertextes, la forme fixe poétique italienne connue sous le nom de Couronne de Sonnets(voir note n° 2).
Nous verrons maintenant quels types d’amplification textuelle résultent des deux types de lien hypertextuel.
Dans toute strophe, les liens hypertextuels de chaque ligne et de chaque interligne donnent respectivement accès à deux séries distinctes de nouveaux textes, construits selon deux modalités spécifiques d’arborescence (voir Figure n° 2) : les arborescences interlinéaires (la série des strophes, dont nous avons déjà vu des échantillons) et les arborescences linéaires (la série des Annexes, dont nous parlerons plus loin).

FIGURE n° 2
Les deux arborescences

___ lien linéaire_____ ® série des annexes

--- lien interlinéaire --- ® série de strophes

___ lien linéaire_____ ® série des annexes

etc., etc. etc.

8. Amplification des liens interlinéaires (série des strophes)

Le principe d’amplification réglée de RAPHÈL implique que l’ouverture de tout lien hypertextuel interlinéaire fait apparaître une nouvelle hyperstrophe décimale. Celle-ci comporte, à son tour, dix vers soulignés d’un lien hypertextuel, suivis de leurs dix interlignes correspondants, également soulignés d’un lien hypertextuel, dont l’ouverture peut faire apparaître une nouvelle hyperstrophe décimale, et ainsi de suite. Il s’agit d’une amplification indéfinie, réglée (et numérotée) par un ordre décimal.
La série des strophes de RAPHÈL réalise donc une amplification totale, enchaînée, cyclique et indéfinie de l’hyperstrophe de base, la strophe zéro.
Dans la version actuelle de RAPHÈL, nous avons réalisé concrètement et totalement : le Cycle Zéro, qui ne comporte qu’une seule strophe, la strophe zéro (10 vers, dont 9 asémantiques) ainsi que le Premier Cycle (100 vers), qui comporte dix strophes décimales (100 vers multilingues). Nous avons réalisé partiellement : cinq strophes du Deuxième Cycle, qui comporte cent strophes décimales (1000 vers)
Les développements qui commencent à partir du Deuxième Cycle sont conçus pour produire majoritairement des poèmes unilingues. Ainsi, le premier interligne de la première strophe du premier cycle donne naissance à une série infinie de strophes en français ; le deuxième interligne, à une série infinie de strophes en anglais, et ainsi de suite.

Raphèl maÿ amèch zabì almì ?
---8 nouveaux vers intercalaires en français--
Nemrod comme sous la tempête (cit. de V. Hugo)

Raphèl maÿ amèch zabì almì ?
---8 nouveaux vers intercalaires en anglais--
Engenders thunder in his breast (Cit. de W. Shakespeare)

9. Amplification des liens linéaires (série des annexes)

Nous avons développé jusqu’à présent l’amplification obtenue à partir des liens hypertextuels interlinéaires, mais nous avons déjà signalé que tous les vers des strophes sont soulignés d’un lien hypertextuel linéaire. Nous avons également avancé que ces liens donnaient accès à un autre type d’arborescence, celle des Annexes, dont la forme de base est la note.
Le choix de la forme “ Note ” n’est nullement arbitraire : elle est nécessaire, car elle est liée à la nature même du centon. En effet, puisque chaque vers de RAPHÈL est strictement une citation, il est logique que chaque vers soit pourvu d’un lien hypertextuel linéaire renvoyant à une note qui donne des informations sur sa source.
Chaque note indique donc (au minimum) la langue, le nom de l?auteur de la citation, le titre de l?ouvrage d?où elle est tirée et les données bibliographiques de l?édition consultée. La note comporte également une traduction littérale mot à mot de chaque fragment, voire des éclaircissements diverses pouvant renvoyer alors à des notes à la note (celles-ci pouvant atteindre la taille d?un essai).
Les notes à la note sont accessibles grâce à des liens hypertextuels (en nombre variable) qui soulignent certains passages de la note de base.

10. Le site <www.raphel.net>

L’étape actuelle RAPHÈL correspond à une première mise en page sous forme d’un site Internet comportant quatre réalisations électroniques différentes : 1) texte animé (Flash) ; 2) hypertexte à parcours libres (html) : 3) texte brut suivi (pdf) ; 4) archives des versions antérieures (pdf). Chaque version comporte des traductions ou des résumés en français, anglais, espagnol et italien. 
La page d’accueil du site ne privilégie aucune langue. Pour cette raison, elle ne comporte rien d’autre que le vers de Dante qui sert de titre au poème et le nom de l’auteur, ainsi que cinq petits drapeaux. Les quatre premiers donnent accès aux versions traduites en français, anglais, espagnol et italien ; le cinquième drapeau, aux couleurs des Nations Unies, donne sur une page où il est indiqué (en anglais) que des versions en d’autres langues sont à l’étude.
Bien entendu, chaque strophe babélique est présentée avec une traduction libre en regard. Toutefois, le projet du poème prévoit la réalisation non pas d’une version officielle, mais de plusieurs traductions françaises, de plusieurs traductions allemandes, etc., etc., aucune ne pouvant être considérée comme la traduction définitive de l’original multilingue. Des divergences importantes ont été volontairement introduites dans les traductions déjà réalisées.

10.1. Le texte animé

RAPHÈL sous forme de texte animé permet une lecture guidée des arborescences du seul poème en vers.

10.2. Hypertexte à parcours libres

RAPHÈL sous forme de hypertextexte avec liens linéaires et interlinéaires.permet d’explorer librement toutes les arborescences du poème en vers, mais surtout toutes les arborescences des annexes en prose (dans cette version les transcriptions des langues étrangères ont été simplifiés par élimination des signes diacritiques et des caractères spéciaux).

10.3. Texte brut

RAPHÈL comme texte suivi en document pdf  comporte : l’épigraphe, la strophe zéro, le premier Cycle complet (dix strophes), le deuxième Cycle incomplet (sept ou dix strophes), les notes et, finalement, les notes aux notes. Le document pdf permet notamment de lire sans difficulté les nombreux signes spéciaux nécessaires à la transcription d’environ 72 langues qui composent le texte multilingue.

10.4. Archives des versions antérieures

Le site permet de consulter les Archives des versions successives de RAPHÈL, ainsi que des publications théoriques ou techniques sur le projet. Les Archives ne sont pas traduites.

11. Projets après le site

RAPHÈL est structurellement un texte à développement indéfini. Pour cette raison, tout en existant de manière concrète, il reste à ce jour largement en gestation, et il devrait continuer à se développer, notamment sous forme d’un Oratorio multimédia. En effet, RAPHÈL, à cause de la nature de ses éléments de base (phrases en langues diverses) comporte des aspects sonores et typographiques qui rendent particulièrement intéressant une réalisation multimédia. En effet, il est important de pouvoir écouter la prononciation adéquate de chaque vers. Certaines citations, par ailleurs, sont des fragments de chansons et doivent être chantés. D’autres fragments ont besoin d’une interprétation sifflée ou bruitée (les onomatopées des Oiseaux d’Aristophane, le coup de tonnerre de Joyce). Il est important également de pouvoir visualiser chaque vers dans ses diverses versions typographiques : d’abord dans la transcription romane utilisée comme norme principale, mais aussi dans l’alphabet phonétique international, et (éventuellement) dans les caractères non romains propres à chaque langue. Les aspects sonores et typographiques des traductions de RAPHÈL doivent recevoir également un traitement multimédia.

12. Interactivité et évolutivité dans RAPHÈL

L’abondance des citations et des langues impliquées dans RAPHÈL rendent obligatoire l’interactivité et l’évolutivité du texte. De nombreux experts ont été consultés et ont participé à la traduction de chacun des vers-citation (voire à leur correction, lorsque la citation ou traduction utilisée au départ étaient fautives). Quelques experts ont été consultés sur certains problèmes posés par l’articulation des fragments entre eux. Pour quelques langues rares du premier cycle, le travail est encore en cours.
Étant donné qu’aucune traduction d’un texte n’est jamais définitive, l’évolutivité indéfinie de la lecture de RAPHÈL est inscrite dans sa forme même. Par ailleurs, l’évolutivité indéfinie de son écriture est également inscrite dans sa forme, qui est celle d’une prolifération ouverte.
Oui, RAPHÈL est structurellement un texte à développement indéfini. Pour cette raison, tout en existant de manière concrète, il reste à ce jour largement en gestation, gestation qui a connu, depuis sa première édition en 1975, sous le titre de Prosopopeïa, plusieurs étapes ayant fait l’objet de publications en livre, en revue, sur Internet et sur CD-ROM (3). La version actuelle de RAPHÈL a été interprétée (avec des variantes) plusieurs fois en public au cours de l’année 2001, 2002 et 2003 (4).
Cette date de 1975 me permet d’affirmer qu’il y a eu convergence entre, d’une part, l’apparition de l’outil cybernétique hypertextuel et, d’autre part, le lent développement d’un travail poétique, lequel devrait y trouver son support le plus idoine.
Il me semble également important de souligner à nouveau que RAPHÈL est né de l’exploration et de la radicalisation de deux anciennes formes fixes poétiques : la Couronne de Sonnets et le centon, qui sont tous deux des préfigurations de l’hypertexte, préfigurations, il me semble, largement méconnues.

-----------
NOTES
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(1) Sources de la Strophe 1.1 de RAPHÈL

Vers 1.1,1 : Raphel may amech zabi almi. Traduction : Sans traduction. Langue : pseudo-langue. Auteur : Dante Alighieri. Texte : Divine Comédie, Inferno XXXI, 67.
Vers 1.1,2 : Nemrod comme sous la tempête. Langue : français. Auteur : Victor Hugo,Texte : La Fin de Satan. Le Glaive, Nemrod, 4, vers n° 25 (fragment). Édition : Poésies IV, Paris, Laffond, 1986, page 19.
1.1,3 : Engenders thunder in his breast. Traduction : [engendre / tonnerre / dans / sa / poitrine ]. Langue : anglais. Auteur : William Shakespeare.Texte : King Henry VI, part I, III, i (fragment).
Vers 1.1,4 : Y toda la discordia de Babel. Traduction : [ et / toute / la / discorde / de / Babel ]. Langue : espagnol. Auteur : Jorge Luis Borges. Texte : sonnet Una brújula, vers n° 8. Du livre El Otro, el mismo.Édition : Obras completas, Buenos Aires, Emecé, 1974, page 875.
Vers 1.1,5 : Per la sua bocca parla. Traduction : [ par / la / sienne / bouche / parle ]. Langue : italien. Auteur : Michel-Ange (Michelangelo Buonarrotti). Texte : Rime, 235, 2.Édition : (Girardi / Testori) Milano, Rizzoli, 1975, page 268.
Vers 1.1,6 : Pe youh pe yez. Traduction : [ ou / cri / ou / langage]. Langue : breton. Auteur : Pierre-Jakez Hélias. Texte : poème Ar Hambrer, vers n° 5. Du livre Ar Mên Du. Édition : Ar Mên Du, La Pierre noire, Brest, Brud, 1974, page 22.
Vers 1.1,7 : Kithlun mumiqchaqcheu una. Traduction : [ comment / pourrais-tu traduire / cela ]. Langue : inuit. Auteur : Francis Barnum, S.J. Texte : Exemple didactique de phrase en inuit. Édition : Grammatical Fundamentals of the Inuit language, New York, The Athenaeum Press, 1901. (Réédition, Hildesheim / Boston, Georg Ohns V., 1970, page 179).
Vers 1.1,8 : Fümms bö wö tää zää Uu / pögiff. Traduction : sans traduction. Langue : Phonétismes vides. Auteur : Kurt Schwitters. Texte : Ursonate (1922-1932), lignes 1 et 2.Édition : Das literarische Werk, Köln, DuMont, 1973, I, page 214.
Vers 1.1,9 : Yadi va. Traduction : [ou / si (peut-être) ]. Langue : sanskrit védique. Auteur : Anonyme. Texte : Rig-Véda, Hymne X,129, 7 (fragment).
Vers 1.1,10 : Rarael abra bracha merphergar. Traduction : Sans traduction. Langue : voces mysticæ. Auteur : anonyme. Texte : Grand Papyrus magique de Paris, §1565 (fragment). Bibliothèque Nationale de Paris, Manuscrits, Supplément grec, 574.

(2) La Couronne de Sonnets

Cette forme fut particulièrement pratiquée dans l’Italie de l’époque baroque et a connu, jusqu’à nos jours, une postérité dans les littératures de langue allemande et de langues slaves. Elle n’a quasiment jamais été utilisée par les poètes français, mais sa définition et un exemple français figurent dans le Dictionnaire de Poétique et de Rhétorique de Morier (*).
Une Couronne de Sonnets comporte un Sonnet Maître (Sonetto Magistrale) et un Cycle dérivé, constitué par un ensemble de quatorze sonnets enchaînés. Les quatorze vers du Sonnet Maître (l’équivalent de notre strophe zéro) donnent naissance aux quatorze sonnets du Cycle selon le même principe qui fait apparaître nos dix strophes décimales à partir de notre strophe zéro.
En effet, chaque sonnet du Cycle s’écrit en intercalant douze vers dans l’interligne qui sépare deux vers successifs du Sonnet Maître.
De cette manière, le premier et le dernier vers du premier sonnet du Cycle reproduisent le premier et le deuxième vers du Sonnet Maître, et ainsi de suite, jusqu’au quatorzième sonnet du Cycle, dont le premier et le dernier vers reproduisent le dernier et le premier vers du Sonnet Maître. Le Cycle (la “Couronne”), se referme alors, et la boucle est bouclée (voir la Figure n° 3).
Nous sommes devant une amplification totale et cyclique du Sonnet Maître. Par ailleurs, puisque chaque sonnet du cycle répète nécessairement le dernier vers du sonnet précédent, il s’agit d’une amplification totale, enchaînée et cyclique
Les quatorze sonnets du cycle sont très précisément le produit d’une arborescence interlinéaire identique à celle que nous avons décrit dans le cas des strophes de RAPHÈL.
* Note à la note
Voir MORIER, Henri, article “ La Couronne de Sonnets ”, in Dictionnaire de Poétique et de Rhétorique, Paris, PUF, 1989, pp. 1073-1078. La Couronne de Sonnets est en réalité un cas particulier d’une autre forme fixe poétique, la Glose (voir BANVILLE, Théodore de, chapitre « La Glose », in Petit Traité de Poésie française, Paris, Eugène Flasquelle éditeur, 1922, pp. 240-243).

(3) Publications précédentes concernant RAPHÈL:

SCHIAVETTA, B., « Prosopopeïa », troisième partie de Dominio de las palabras, in Zero, testi e antitesti di poesia, Naples, Altri Termini, 1975, pp. 58-59.
SCHIAVETTA, B., « Prosopopeïa », in Diálogo, Valencia, Prometeo, 1983, pp. 45-46.
SCHIAVETTA, B., Le lieu vide, in Noésis, n° 2 (Figuration de l’absence), 1985, pp. 86-88.
SCHIAVETTA, B., « Hiperglosas », in Serna, Angela & Varela, Julio, eds., Escritura creativa, Actas del I encuentro nacional de talleres de escritura creativa (1996), Universidad del País Vasco, Vitoria, 1997. pp. 77-88.
SCHIAVETTA, B., Comment je me suis mis à écrire le LIVRE, Formules, n°1, Avril 1997, pp. 209-226, article repris sur Internet (www.formules.net).
SCHIAVETTA, B., Projet du LIVRE ou Comment je me suis mis à écrire le LIVRE, in DWB, Dietsche Warande & Belfort, 1999-4, Electronische literatuur, cd-rom (file: ///DWB/dwb/essaysf/livre/livre.htm)
SCHIAVETTA, B., « Raphèl », in Hypertextes, hypermédias, nouvelles écritures, nouveaux langages, H2PTM’01, coordonnateurs Jean-Pierre Balpe, Sylvie Leleu-Merviel, Imad Saleh, Jean Marc-Lubin, Hermes-Lavoisier, 2001, pp. 223-237.
SCHIAVETTA, B., « Raphèl, poème babélique », in Document Numérique, vol. 5, n° 1-2, 2001, pp. 17-31.
SCHIAVETTA, B., « Raphèl », in Éc/arts # 3, 2003, pp. 374-375 (le poème et les sources en version abrégée, en quatre strophes de onze vers chacune).

(4) Performances de RAPHÈL

Versions Polivanoff : documents de travail présentés au Cercle Polivanoff, Centre de Poétique Comparée, Institut National de Langues Orientales, Paris (lectures des versions successives au cours de plusieurs séances de travail pendant les années 1998, 1999 et 2000).
Version de Cerisy. Première performance publique au Château de Cerisy-la-Salle, dans le cadre du Colloque « Écritures et Lectures à contraintes », le 13 août 2001.
Version du Phénix. Performance au Théâtre Le Phénix, Valenciennes, dans le cadre du Colloque « Hypertextes Hypermédia HTPM’01 », le 19 octobre 2001.
Version de Lyon. Performance à l’ENS de Lyon, dans le cadre du Centre d’Études Poétiques, le 14 Novembre 2001.
Version de Beaubourg. Performance au Centre Pompidou, dans le cadre du Printemps des Poètes, le 24 mars 2002.
Version de la Sorbonne. Performance à la Salle Bourjac, dans le cadre de la Journée « À l’épreuve de la réécriture », le 15 mars 2003.


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