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Compte-rendu de lecture n°4
Raymond Queneau en Scènes

 

Raymond Queneau et le théâtre
Jean-Pierre Longres, Raymond Queneau en Scènes,
Presses Universitaires de Limoges, Limoges, 2005.

Tout au long de sa carrière, l'écrivain Raymond Queneau a entretenu une relation particulière — étroite en même temps que sporadique — avec le théâtre. C'est sur cette affinité bien ambiguë que se penche Jean-Pierre Longres dans son étude Raymond Queneau en Scènes. Ce livre, qui se présente comme une introduction à une partie mal connue de l'œuvre quenienne, est aussi une investigation sur la potentialité théâtrale des œuvres de l'écrivain. L'enjeu de Longres est donc double : inventorier et analyser toutes les pièces achevées, inachevées ou même ébauchées ; poser des questions importantes sur la théâtralité de l'œuvre dans sa totalité. Cette double orientation entraîne une double perspective historique. Alors que les ouvrages théâtraux de Queneau au sens strict du terme se réalisent grosso modo dans une période bien définie (entre 1940 et 1950), la deuxième question exige une perspective beaucoup plus généralisante. De plus l'auteur se penche à quelques occasions sur l'interférence entre les deux questions principales qui structurent son œuvre. La réponse qu'il apporte est double aussi. La première partie du livre offre au lecteur novice de l'œuvre quenienne une introduction fort utile à des pièces intéressantes mais mal connues. La deuxième partie, qui s'adresse à un public davantage spécialiste, déçoit un peu. Raymond Queneau en scènes est donc intéressant et décevant en même temps, parce que le livre ne répond pas à l'attente du lecteur attiré surtout par la deuxième partie du titre.

L'auteur a opté dans son livre pour une structure claire et logique. Après une introduction portant sur l'affinité pour et la fréquentation du théâtre comme on le retrouve dans les journaux de Queneau (on y retrouve une préférence marquée pour le théâtre populaire et le système classiciste), Longres inventorie et décrit minutieusement les pièces de théâtre. La majorité des pièces sont inachevées et même à peine ébauchées. Dans la majorité des cas, le chercheur ne peut que supposer comment l'auteur aurait concrétisé les quelques idées manuscrites ou dactylographiées. Bien que l'auteur nous indique à plusieurs occasions le climat intellectuel et littéraire dans lequel ont été conçues la majorité des ouvrages et idées théâtrales (un climat qui nous a donné « un théâtre qui n'oublie pas le passé, mais qui ne fuit pas l'innovation, voire les changements radicaux »), il n'analyse guère l'interférence entre ce contexte intellectuel et artistique d'un côté et l'œuvre théâtrale de Queneau de l'autre côté. Les textes sont ainsi présentés et analysés un peu dans le vide.
Dans une deuxième partie importante, Longres inventorie les qualités théâtrales de l'œuvre intégrale de Queneau et de son écriture, notamment du Vol d'Icare. L'auteur nous montre bien que cet aspect théâtral était une partie intégrante des ambitions de l'écrivain, dévoilant son œuvre comme une fusion mégalomane (j'utilise cet adjectif ici dans un sens positif), un patchwork de styles et de registres. Comme l'explique l'auteur de Raymond Queneau en Scènes, Queneau a systématiquement fait usage de techniques théâtrales en écrivant ses romans, s'inspirant, par exemple, de la structure dialogique ou monologique, de la structure narrative du théâtre classique, des techniques métathéâtrales ou du messager dans le théâtre antique qui nous informe des événements extralittéraires. Bien que cet inventaire soit assez exhaustif et intéressant, l'approche est d'abord textuelle et non théâtrale : Raymond Queneau en Scènes est donc en premier lieu une étude générique et littéraire. L'auteur nous indique bien comment Queneau a appliqué les techniques théâtrales, mais ne fait guère le bilan des qualités performatives inhérentes à l'écriture même de Queneau. Pourquoi donc les metteurs en scène s'intéresseraient tellement à cette œuvre ? Cette question reste majoritairement sans réponse.
Dans les deux dernières parties Longres analyse quelques représentations théâtrales et références intertextuelles au théâtre qu'on retrouve dans les ouvrages romanesques de Queneau. Bien que le chapitre sur les représentations soit intéressant, il ne peut être qu'un point de départ pour toute recherche ultérieure. Un tel projet devrait alors excéder l'approche exclusivement textuelle et s'appuyer conséquemment sur des sources documentant les choix du metteur en scène. Ce n'est qu'en se penchant sur la performance même et en analysant les choix qu'ont faits les artistes qu'on pourra vraiment apprécier la densité des ouvrages de Queneau.

Karel Vanhaesebrouck

 

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