FORMULES

Extrait du numéro 1


Bernardo Schiavetta

Projet du LIVRE
ou
COMMENT JE ME SUIS MIS À ÉCRIRE LE LIVRE

1. À l'insu des Génies

«? j'ai toujours rêvé et tenté autre chose, avec une patience d'alchimiste, prêt à y sacrifier toute vanité et toute satisfaction, comme on brûlait jadis son mobilier et les poutres de son toit, pour alimenter le fourneau du Grand ?uvre. Quoi ? c'est difficile à dire: un livre, tout bonnement, en maints tomes, un livre qui soit un livre, architectural et prémédité, et non un recueil des inspirations de hasard fussent-elles merveilleuses? J'irai plus loin, je dirai: le Livre, persuadé qu'au fond il n'y en a qu'un, tenté à son insu par quiconque a écrit, même les Génies. L'explication orphique de la Terre, qui est le seul devoir du poëte et le jeu littéraire par excellence?»

Voilà ce que confiait Mallarmé à Verlaine dans sa lettre autobiographique du lundi 16 novembre 1885. Et il ajoutait, quelques phrases plus loin: «?et je réussirai peut-être; non pas à faire cet ouvrage dans son ensemble (il faudrait être je ne sais qui pour cela !) mais à en montrer un fragment d'exécuté, à en faire scintiller par une place l'authenticité glorieuse, en indiquant le reste tout entier auquel ne suffit pas une vie. Prouver par les portions faites que ce livre existe, et que j'ai connu ce que je n'aurai pu accomplir.»

Écrire le LIVRE?

Dans l'esprit de la plupart de nos contemporains, cela se connote de deux évidences: premièrement, c'est un projet typiquement mallarméen; deuxièmement, il est impossible.

S'il s'agit d'une impossibilité, comme la quête de la pierre philosophale ou de la quadrature du cercle, il est donc ridicule de s'en occuper sérieusement. Et par ailleurs, puisque le projet est tellement marqué par Mallarmé, quiconque s'en occuperait ne saurait être qu'un épigone (et l'opprobre dont on accable René Ghil doit nous avertir du danger).

Je voudrais ici remettre en question ces prétendues évidences.

En premier lieu, un tel projet appartient-il en propre à Mallarmé ?

Non. Pour les croyants, ce copyright n'appartient qu'à Dieu. Par ailleurs, moins mystiquement, le LIVRE s'est trouvé quasiment réalisé dès l'origine même de la littérature occidentale: l'Iliade, en effet, a longtemps été considérée comme le modèle insurpassable, modèle que de nombreux poèmes ont tout simplement continué sous diverses formes: ainsi sont nées l'Odyssée ou l'Énéide, mais également l'Alexandra de Lycophron, la Chute de Troie de Triphiodoros, le Rapt d'Hélène de Colluthos, etc., etc.

Plus tard, la colère d'Achille sembla trop grossière à certains philosophes, et ils se mirent à l'allégoriser, la parant de mille profondeurs métaphysiques, dont l'Antre des Nymphes de Porphyre garde quelques traces. Mieux encore, délaissant les héros troyens et autres guerriers fatigués ? comme ceux de la Pharsale de Lucain ou ceux, si tardifs, de l'Araucana d'Ercilla ou de laHenriade de Voltaire  ?, beaucoup de poètes cherchèrent des thématiques à la fois moins particulières et plus élevées: les origines, le ciel, l'au-delà: la Théogonie d'Hésiode, les Phénomènes d'Aratos, la Divine Comédie ou Le Paradis Perdu? Or, cela même restant trop particulier, le Tout, sujet des sujets, sut inspirer, sur les traces sans retour d'Empédocle, le De rerum Natura de Lucrèce, le Microcosme de Scève, les Sepmaines de Du Bartas?

De tels thèmes, liés aux tentatives d'écrire le LIVRE, appartiennent en propre à l'Épique ou à la Didactique. Toutefois, la caducité de ces deux vénérables genres ? associée au triomphe du romantisme, qui consacra la Lyrique comme seule véritable Poésie ?, vint flétrir également l'idée du Grand Livre.

Parallèlement, à la suite de la mort de Dieu, la Bible et maint autre Livre, inspirés par de nombreux dieux uniques et suprêmes, furent enfin rangés parmi les ?uvres humaines, trop humaines?

2. De l'hypothèse mallarméenne à l'hypothèse borgésienne

Le LIVRE cessa ainsi d'être le but glorieux des poètes.

Cela explique peut-être pourquoi la quête de Mallarmé a pu être ressentie comme quelque chose de nouveau, mais surtout comme quelque chose d'impossible.

Impossible en effet, et inconcevable, car ? tautologie oblige ? si tout livre n'est qu'un livre, alors aucun livre ne peut être le LIVRE.

Ou bien non, le LIVRE est concevable peut-être, mais irréalisable, car il devrait, obligatoirement, être le Livre des livres, c'est à dire les contenir tous, et le l'Univers avec: .

Or, le Tout incluant aussi l'avenir, celui-ci échappera nécessairement à tout résumé, à toute énumération?

Le Livre est donc bel et bien impossible.

Au mieux, sa quête n'est qu'une vague idée , échafaudée par la rêverie, démontée par la raison.

Bref, personne ne prend Mallarmé au sérieux.

Sauf moi, car je sais que le LIVRE est possible.

Nous avons vu que le LIVRE ne pouvait avoir d'autre thème que le Tout, thème qui jamais ne pourra être épuisé dans le cadre d'une ?uvre: « ...je réussirai peut-être, non pas à faire cet ouvrage dans son ensemble... mais à en montrer un fragment d'exécuté... en indiquant le reste tout entier auquel ne suffit pas une vie ».

Cependant, cette prétendue impossibilité dépend exclusivement d'une certaine idéologie littéraire, selon laquelle les ?uvres sont des entités dont la forme est close, traitant de thèmes plus ou moins variés et étendus, mais dénombrables, et ayant en général un seul auteur et une seule langue, plus rarement plusieurs auteurs et plusieurs langues, mais toujours en nombre défini.

Si l'on abandonne cette idéologie (comme déjà le font jusqu'à un certain point ceux qui pratiquent ? pour l'instant de manière encore inégale ? le roman électronique interactif) le LIVRE devient concevable dans les limites de la pensée logique: il suffira de postuler alors que sa forme, son auteur, son thème et ses langues doivent être infinis, en prêtant à cet adjectif le sens d'une , comme lorsqu'on parle, en mathématiques, de la suite infinie des nombres entiers.

Toutefois, postuler que LIVRE doit être évoque quelques obsédantes connotations borgésiennes, que je propose de dépasser.

3. Au delà de l'hypothèse borgésienne

Borgès a décrit une Bibliothèque de Babel , formée par toutes les combinaisons possibles des éléments qui constituent un type donné de volume, contenant un certain nombre de pages et de caractères typographiques. La quantité qui en résulte n'est pas infinie: tout au plus quelques milliards de milliards de milliards de volumes.

Tout au contraire de la Bibliothèque de Babel, le Livre dont je parle n'est nullement le produit d'une combinatoire: ses éléments étant illimités, il n'est pas restreint par les bornes d'une seule langue, ou d'un seul alphabet, ou d'un seul support textuel: tablette, rouleau, codex, écran?

Borgès a également écrit que tout livre est infini. Cela est vrai, mais seulement selon l'herméneutique. Il est donc inutile de dire que le LIVRE est infini sous cet aspect: pouvant toujours se prêter à des interprétations (métaphoriques ou autres), chaque mot est infini à la lecture.

Tout au contraire, le LIVRE dont je parle est infini du point de vue de son écriture.

Borgès a rêvé d'un Livre de sable, dont les pages se subdivisent interminablement, sans que jamais on ne puisse trouver sa page centrale. Et il appelle cet objet fantastique?

Tout au contraire, le LIVRE infini dont je parle est un objet concret, que tu peux écrire avec moi, toi qui es en train de me lire.

4. Tel qu'en Lui-même enfin l'infinité le change

Évidemment, le LIVRE ne peut être autre chose que Livre des livres.

En raison de cette définition, n'importe quel écrit, bon ou mauvais, connu ou inconnu, manuscrit ou imprimé, achevé ou seulement esquissé, est susceptible de devenir note, paragraphe, chapitre, annexe ou scolie du LIVRE infini.

J'ai proposé pour l'adjectif le sens d'une . Autrement dit, parmi les divers concepts philosophiques et mathématiques concernant l'infini, je ne retiens ici que la simple notion d'infini potentiel selon le modèle de la suite des nombres entiers. À ce sujet, et sans entrer dans le détail des ensembles infinis de Dedekind ni des nombres transfinis de Cantor (chose dont je serais incapable), il est utile de rappeler que l'on peut décrire une infinité d'infinis potentiels: par exemple, dans la série des nombres entiers, il y a un ensemble infini de nombres premiers, un ensemble infini de nombres pairs, un ensemble infini de nombres impairs, etc.

Pour cette raison, donc, si l'on conçoit le LIVRE comme un infini potentiel et réglé, il s'ensuit, premièrement, qu'il existe une variété infinie de réalisations de détail. Autrement dit, le LIVRE infini est en réalité un ensemble infini de LIVREs infinis, une BIBLIOTHEQUE infinie.

En deuxième lieu, il ne s'ensuit aucunement que l'infinité du LIVRE soit quelconque, ou chaotique: la suite ordonnée des nombres entiers, qui nous a servi de modèle, est régie par un principe formel qui l'ordonne dans sa totalité, et il en va de même pour chacun des ensembles infinis spécifiques qui s'y trouvent inclus. Pareillement, le LIVRE, en tant que livre, se doit d'être .

Ainsi, le LIVRE est déjà devant nos yeux, certes, et cependant il n'existe qu'au stade de brouillon informe.

Il s'agit désormais de commencer à mettre ce brouillon au propre.

Mais pour ce faire il est indispensable de remplir les quatre conditions d'infinité précédemment posées: infinité de forme, d'auteur, de thème et de langue.

5. Les quatre conditions d'infinité du LIVRE

Il existe très probablement de nombreux principes formels capables d'organiser le LIVRE, mais je propose de choisir, très simplement, celui qui nous a servi d'exemple jusqu'à présent: le principe de l'infinité des nombres entiers .

Et puisque les nombres entiers et le vers métrique ont en commun le principe du Nombre, je choisis en conséquence d'écrire la charpente du LIVRE en vers, les proses, les chiffres, les diagrammes, les illustrations, etc. venant s'y greffer par la suite.

En effet, le vers métrique, tel que nous le rencontrons dans la plupart des langues, et notamment dans le cas particulier de la prosodie française, est d'abord l'application du nombre au discours: on compte les syllabes. Ainsi, le retour d'un accent à la fois tonique et métrique (doublé éventuellement du retour d'une rime) découpe le fil du discours en unités syllabiques simples: vers d'une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit syllabes, ou bien en unités syllabiques complexes (avec césure): vers de neuf, dix, onze, douze et parfois plus de syllabes. Cela est particulièrement sensible dans les poèmes écrits dans un seul type de vers.

La base 10 étant celle de notre système numérique international, le système décimal, je choisis en conséquence d'écrire le début du LIVRE en décasyllabes, ordonnés en strophes de dix vers, pour rendre parfaitement évidente la correspondance entre les deux systèmes: mathématique et prosodique.

La toute première strophe du LIVRE correspondra donc à un dizain décasyllabe, désormais appelé HYPERPOÈME, unité formelle cohérente contenant la suite décimale 1, 10, 100: 1 strophe, 10 vers, 100 syllabes métriques.

Une telle correspondance numérique décimale ne saurait être suffisante si elle s'arrêtait là et, pour cette raison, je choisis d'inclure dans le fonctionnement de la première strophe du LIVRE un mécanisme de prolifération sans fin.

Ce mécanisme, désormais appelé hyperglose, consiste à rajouter une glose de huit vers dans chaque interligne du dizain qui vient d'être décrit. Ainsi, l'HYPERPOÈME donnera naissance à ce qui sera désormais appelé un cycle de dix nouveaux dizains (pour les détails techniques voir l'Annexe I).

Chaque premier cycle est une unité formelle cohérente contenant la suite décimale 1, 10, 100, 1000: 1 cycle, 10 strophes, 100 vers, 1000 syllabes métriques.

La prolifération sans fin du poème découle du fait que chaque strophe du cycle peut devenir à son tour un nouvel Hyperpoème (avec un seul h majuscule), et donner naissance à un nouveau cycle de dix strophes, et ainsi de suite, indéfiniment.

Dans chaque nouveau cycle, il n'est pas nécessaire que toutes les strophes dérivées deviennent des hyperpoèmes; il suffira qu'une seule le devienne et alors la prolifération infinie pourra suivre son cours.

Bien entendu, des sous-ensembles bâtis sur des bases supérieures ou inférieures à dix peuvent se greffer de manière réglée à partir de ce système, mais je laisserai de côté cette possibilité. Pour l'instant il suffira de retenir que le LIVRE est donc charpenté par une organisation numérale décimale infinie.

La versification décimale et les hypergloses, fournissent donc le principe d'organisation formelle infinie du LIVRE, fondé sur un HYPERPOÈME, à la fois infiniment reproductible, infiniment modulable et capable de recevoir à l'infini des ajouts et des greffes textuelles.

La première condition (de forme) prévue par mon hypothèse est donc maintenant remplie par un moyen technique précis, les hypergloses décimales.

La deuxième condition, celle de l'infinité de l'auteur semblerait, à première vue, pouvoir être remplie par le simple recours à l'écriture collective. Malheureusement, l'écriture collective ne peut remplir cette condition que pour le présent et le futur seulement. Elle est donc insuffisante, car il est nécessaire d'inclure dans le LIVRE non seulement tous les auteurs présents et futurs, mais aussi ceux du passé.

Le LIVRE doit donc se construire selon un principe d'écriture transindividuelle , en multipliant dans son corpus les citations, et cela, jusqu'à l'épuisement (fort improbable, certes, mais théoriquement possible) du contenu de tous les autres livres.

Par surcroît, si les gloses se construisent sur des citations, et si l'hyperglose n'est qu'une glose développée à l'infini, il s'impose donc que l'HYPERPOÈME doit lui-même être une citation, ou bien être entièrement constitué par des citations.

Il existe des millions d'ensembles de dix vers décasyllabes dans la littérature universelle; paar exemple, il suffirait d'enlever quatre vers dans un sonnet décasyllabe; dans beaucoup de cas, les dix restants pourront constituer une strophe décimale cohérente. Toutefois, le choix d'un poème en particulier a l'inconvénient d'être totalement arbitraire, et de privilégier un seul auteur.

Il serait donc moins arbitraire donc de prélever dans le vaste brouillon universel dix vers décasyllabes de dix auteurs différents, de manière à produire un dizain cohérent. Ce type d'écriture transindividuelle radicale correspond à une forme poétique un peu délaissée depuis quelques siècles, le centon .

Le centon est un collage de fragments d'un ou plusieurs auteurs, collage qui produit un texte nouveau, ayant un sens plein. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il n'y a pas de difficulté majeure à traiter par le centon un sujet quelconque, même ardu (voir plus loin l'exemple del'Hypersonnet).

Tout poète utilise la parole commune, c'est à dire les mots qui appartiennent à une communauté linguistique donnée. L'auteur d'un centon incarne la parole commune d'une manière plus complexe, parce qu'il ne parle pas avec ses propres phrases: il parle avec les phrases d'autrui. Par conséquent, le centon est une écriture qui note une lecture, c'est à dire une écoute, et l'écoute n'est que l'aspect positif du silence. Pour cette raison, la voix de son auteur ne s'y fait pas entendre comme voix, mais comme silence au sein de la parole commune, comme scansion du souffle, dans les pauses de la coupure et la ponctuation.

Les Hyperpoèmes des cycles dérivés devront comporter au moins une citation (ou bien être à leur tour des centons proprement dits), dans le but d'incorporer au LIVRE les ?uvres du passé.

Dans l'HYPERPOÈME conçu sous la forme d'un centon, et dans les Hyperpoèmes citationnels, les voix du passé résonnent dans le silence d'une écoute au présent, composant un poème qui est littéralement et concrètement un résumé de la poésie du passé, point zéro qui peut devenir ?grâce au partage des hypergloses? la source de poèmes écrits par une infinité d'auteurs.

La deuxième condition (d'auteur) prévue par mon hypothèse est donc maintenant remplie par un moyen technique précis, la citation et le centon qui doivent être la base des hypergloses.

La troisième condition, celle de l'infinité du thème semblerait, à première vue, très facile à remplir car, les Livres du LIVRE devant traiter de tout, il pourrait commencer par n'importe quel sujet.

Néanmoins, l'HYPERPOÈME, qui est le poème ZÉRO de tous les LIVREs, se doit d'avoir le thème le plus neutre possible. Il pourra ainsi donner naissance à un nombre infini d'organisations thématiques d'Hyperpoèmes dérivés, en commençant déjà par un nombre infini de premiers cycles d'hypergloses.

Le thème le plus neutre possible pourrait être l'autodescription, c'est-à-dire la description de l'HYPERPOÈME par lui-même.

Toutefois, une grande difficulté apparaît ici, qui nous contraint à aborder dès maintenant la quatrième condition d'infinité (infinité de langue).

En effet, pour développer n'importe quel thème il faut avoir recours à une langue au moins. Mais le fait d'en privilégier une serait contraire à l'esprit de totalité du LIVRE, qui doit les inclure toutes. Et comme l'HYPERPOÈME ne comporte que 10 vers, nous ne disposons que d'un maximum cent syllabes ; ainsi, même en utilisant un choix de de mots monosyllabes, choisis dans cent langues différentes, nous n'arriverions pas à épuiser toutes les langues du monde.

En conséquence, pour éviter de privilégier une quelconque langue naturelle (et donc une seule culture), il me semble que le choix le moins arbitraire serait de construire l'HYPERPOÈME au moyen d'un centon de langues inventées.

Les langues inventées peuvent avoir ou ne pas avoir du sens. Les premières, sémantiques, sont les plus nombreuses: jargons secrets des voleurs, langues artificielles savantes, etc. Les deuxièmes, asémantiques, peuvent être des glossolalies mystiques ou pathologiques, mais aussi des phrases dépourvues de sens incluses dans des ?uvres littéraires, comme le vers (décasyllabe à terminaison féminine) qui profère le roi de Babel, Nemrod, dans la Divine Comédie : "Raphel may amech izabi àlmi".

En fait, l'HYPERPOÈME, Poème Zéro, se doit d'être un grand hapax capable d'avoir tous les sens possibles. Le thème le plus neutre est l'absence de thème, l'absence de sens.

Il est donc logique de construire l'HYPERPOÈME grâce à un centon de langues inventées asémantiques.

Par la suite, chacun des premiers cycles, dans une langue ou dans une autre, pourra comporter un Hyperpoème-centon développant ce que j'ai proposé comme le thème (sémantique) le plus neutre possible: l'autodescription.

La troisième condition (de thème) et la quatrième condition (de langue) prévues par mon hypothèse sont donc maintenant rempliess par des moyen techniques précis, ll'HYPERPOÈME-centon asémantique qui est à l'origine de tous les LIVREs et l'Hyperpoème-centon sémantique et autodescriptif qui est la base des hypergloses d'un LIVRE particulier écrit dans une langue donnée (naturelle ou artificielle).

Les quatre conditions d'infinité prévues par mon hypothèse sont donc maintenant remplies par des moyens techniques précis et concrets.

Le LIVRE aura donc comme base de ses hypergloses décimales un HYPERPOÈME asémantique en langues inventées. L'HYPERPOÈME donnera naissance à un nombre infini de premiers cycles, les LIVREs particuliers.

Chaque premier cycle décrira sa propre construction et comportera au moins un Hyperpoème-centon de dix vers décasyllabes prélevés chez dix auteurs différents.

L'Hyperpoème-centon et les gloses interlinéaires de chaque premier cycle appartiendront à un univers linguistique déterminé: langue naturelle, langue artificielle, mélange de langues.

Étant donné que chaque premier cycle sera le germe d'un LIVRE infini, chacun de ces LIVREs infinis pourra avoir une thématique particulière, mais d'autres LIVREs pourront avoir des thématiques mélangées, aléatoires, etc.

Il suffira maintenant de chercher dix vers en dix langues inventées asémantiques?

Bien. Arrêtons là cette fiction, qui voudrait nous faire arriver au LIVRE par la démonstration logique d'un raisonnement impeccable, fondé sur l'application de la suite infinie des nombres entiers au langage, raisonnement où l'enthousiasme inspiré n'a point d'intervention?

Comment je me suis mis à écrire le LIVRE (vraiment)

Non, jamais je n'ai songé à écrire le LIVRE.

Et pourtant j'ai commencé à l'écrire à mon insu, quoique cette ignorance n'ait pas duré trop longtemps.

Soudainement, j'ai tout compris.

Je me trouvais à ce moment là dans un établissement psychiatrique du centre de la France, dans le Berry.

J'y travaillais en qualité de psychiatre, cela va sans dire.

Les gardes étaient longues et peu mouvementées, ce qui me permettait d'écrire un livre de sonnets.

Ce livre devait comporter des sonnets de toutes sortes, dont une Couronne de Sonnets. Celle-ci est une forme fixe italienne qui m'était connue grâce au Dictionnaire de Rhétorique de Morier, lequel rapporte une définition de Crescimbeni, remontant à la fin du XVIIème siècle (mais la forme est sans doute plus ancienne).

Les Couronnes italiennes comportent quinze sonnets: un Sonnet-Maître (Sonetto Magistrale ou Sonetto Coronale) précédé ou suivi d'une série de quatorze sonnets enchaînés en cercle.

D'une part, chaque sonnet de la série circulaire commence par la reprise du dernier vers du sonnet précédent, jusqu'au quatorzième sonnet, dont le dernier vers est identique au premier vers du premier sonnet du cycle. De cette manière, le cercle, c'est-à-dire la Couronne, se referme et la boucle est bouclée:

Sonnet n° 01: Axxx xxxx xxx xxB
Sonnet n° 02: Bxxx xxxx xxx xxC
Sonnet n° 03: Cxxx xxxx xxx xxD
Sonnet n° 04: Dxxx xxxx xxx xxE
Sonnet n° 05: Exxx xxxx xxx xxF
Sonnet n° 06: Fxxx xxxx xxx xxG
Sonnet n° 07: Gxxx xxxx xxx xxH
Sonnet n° 08: Hxxx xxxx xxx xxI
Sonnet n° 09: Ixxx xxxx xxx xxJ
Sonnet n° 10: Jxxx xxxx xxx xxK
Sonnet n° 11: Kxxx xxxx xxx xxL
Sonnet n° 12: Lxxx xxxx xxx xxM
Sonnet n° 13: Mxxx xxxx xxx xxN
Sonnet n° 14: Nxxx xxxx xxx xxA

D'autre part, le Sonnet-Maître, reprend, dans l'ordre, les quatorze vers qui se répètent dans les quatorze sonnets de la série circulaire. De cette façon, le premier vers du Sonnet-Maître correspond au premier vers du premier sonnet, son deuxième vers au premier vers du deuxième sonnet, etc.:

Sonnet-Maître: ABCD EFGH IJK LMN

En fait, l'on écrit d'abord le Sonnet-Maître, et l'on compose ensuite la série circulaire des quatorze autres sonnets au moyen d'une glose enchaînée et circulaire.

En réfléchissant sur la Couronne en tant que forme encore vide de mots, en tant que forme abstraite, j'ai entrevu que le Sonnet-Maître laissait transparaître, en filigrane, les quatorze textes futurs, de la même manière qu'un palimpseste laisse entrevoir d'antiques textes dans ses interlignes.

Cela m'a permis de comprendre que la dynamique ainsi embrayée était illimitée, car, si le Sonnet-Maître contient les quatorze autres en puissance, l'un de ces quatorze peut à son tour devenir un deuxième Sonnet-Maître, qui peut engendrer une deuxième Couronne, dont l'un des sonnets peut devenir un troisième Sonnet-Maître, et ainsi de suite, ad infinitum.

Cette idée d'une couronne infinie correspond à ce que j'appellerai désormais les hypersonnets (en reprenant et modifiant un terme déjà utilisé par Zanzotto).

Lorsque l'idée des hypersonnets s'est imposée à moi, j'ai tout de suite perçu l'impossibilité d'écrire l'interminable. Cela ne pouvait être qu'un travail partagé. Il fallait que d'autres reprennent dans le présent et dans l'avenir cette tâche.

Pour cette même raison, à savoir qu'il s'agit d'une entreprise infinie et transindividuelle, il m'a semblé qu'il n'était pas logique d'écrire avec mes propres mots le premier Sonnet-Maître des hypersonnets, l'Hypersonnet.

Ayant déjà un peu pratiqué l'art du centon et des collages, il m'est apparu comme une évidence que l'Hypersonnet devait être concrètement un résumé des sonnets écrits avant lui.

Il s'est ainsi constitué en à d'autres sonnets, par l'assemblage de vingt-huit hémistiches d'autant d'auteurs différents, à savoir: Boris Vian, Guy Le Fèvre de La Boderie, Siméon-Guillaume de La Roque, Flaminio de Birague, Paul Valéry, Marin Le Saulx Du Saussé, Jean Cassou, Jean de La Ceppède, Raymond Queneau, Pierre de Ronsard, Jules Laforgue, Antoine Girard de Saint-Amant, Nicolas Le Digne, Didier Coste, Jean-Baptiste Chassignet, Pierre de Marbeuf, Albert Samain, François Coppée, Gérard de Nerval, Gabrielle de Coignard, Charles Baudelaire, Vincent Muselli, Paul Verlaine, José-Maria de Heredia, Alfred de Vigny, Joachim Du Bellay, Charles Cros et Stéphane Mallarmé (pour les sources voir l'Annexe II).

Ainsi, en quelque sorte, l'Hypersonnet était déjà écrit dans quelques éparpillés dans le vaste brouillon du passé, qui décrivent par ailleurs leur propre assemblage et annoncent la prolifération des cycles futurs de Couronnes sans fin.

L'Hypersonnet remplit en fait trois conditions d'infinité: de forme, d'auteur et de thème:

Pour vous, en un sonnet de la Couronne ronde,
Prenant leurs plus beaux traits à cent refrains divers,
Je compose en esprit aux yeux de tout le monde
Une conjonction de prophétiques vers.

Figure d'une hélice à nulle autre seconde,
Vertige d'univers, ce petit univers
Par son cercle sans fin plus que jamais abonde
En mille et mille tours qui toujours sont ouverts.

Pleine de souvenir, cette splendeur rayonne
Modulant tour à tour la lumière et l'obscur
Pour rassembler à neuf un passé qui s'étonne:

Immense et condensé, vertigineux et sûr,
Le Sonnet séculaire avance sa Couronne
Dans ces cycles, si grands, épars dans le futur

Pour écrire l'Hypersonnet, j'ai donné l'initiative aux mots, en choisissant comme sources des quatre groupes de rimes quatre concepts significatifs: , , , . Le premier hémistiche choisi a été, bien entendu, celui de la conclusion. Le reste est venu par une simple ?uvre de patience dans la recherche des hémistiches, et par l'?uvre de l'inspiration dans leur assemblage.

6. Des hypersonnets aux hyperpoèmes

J'avais déjà écrit l'Hypersonnet, qui développait ad nauseam la forme du sonnet. Mais sous l'éclairage métaphysique de l'infini, le sonnet m'est apparu comme une forme trop spécifique, dont la relative clôture, déjà très largement ouverte par les hypersonnets, devait s'ouvrir encore davantage. Par ailleurs, les relations numériques fondamentales des Couronnes, 14 sonnets de 14 vers de 12 syllabes me laissaient profondément insatisfait, car une progression cubique de 14 x 14 x 14, aurait été plus parfaite à mes yeux. Mais la rareté des sonnets de quatorze syllabes en français m'interdisait la construction du centon fondamental.

Je me suis dit alors qu'il serait plus beau de d'utiliser comme point de départ une strophe carrée de base plus petite, et je suis ainsi arrivé à concevoir un Hyperpoème-Maître composé de dix décasyllabes, dont la première couronne réaliserait un nombre cubique (10 x 10 x 10), et leurs suites des nombres hypercubiques, etc.

C'est à ce moment là que j'ai tout compris.

J'ai été transpercé par l'évidence que l'Hyperpoème transmuait en vers notre actuel système numérique dont la base est 10 (système décimal).

Je me suis rendu compte que les hyperpoèmes dérivés de cet Hyperpoème décasyllabe auraient une corrélation exacte avec la suite infinie des nombres entiers, susceptible de métamorphoses infinies. Oui, en effet, car moyennant des rapports entre plusieurs poèmes chiffrés en nombres entiers, le système des hypergloses décimales serait susceptible de produire des variations et des développements arithmétiques, mathématiques et algébriques, correspondant à des nombres autres que les nombres entiers: nombres irrationnels, imaginaires, transfinis? Tous ces nombres, ensuite, par moyen d'allégories adéquates, pourraient être thématisés dans les contenus des poèmes?

J'ai perçu alors au sein de l'Hyperpoème le germe d'une prolifération sérielle et cyclique de poèmes dans toutes les possibilités métriques, dans une prosodie rigoureusement repensée en français, puis dans toutes les langues et dans tous les langages, présents, passés et futurs?

J'ai compris enfin que la dixième Muse, la mère Mnémosyne, me révélait, dans un suprême éclair orphico-pythagorique, le LIVRE?

Mais arrêtons là cette fiction, qui voudrait nous faire arriver au but par une série d'illuminations, purs produits de la folie poétique, où la froide Muse du raisonnement ne serait pas intervenue.

Comment je me suis mis à écrire le LIVRE (avec vous)

L'existence même de l'Hypersonnet prouve la parfaite faisabilité des hyperpoèmes-centons, résumés de toute la littérature et germes du Livre infini.

Alors, on m'aide ?

_____________________ ___________________________________________________ ANNEXE I. LE PRINCIPE DE L'HYPERGLOSE Voir l'article ANNEXE II. SOURCES DE L'HYPERSONNET (Selon leur place dans l'Hypersonnet ou dans les sonnets d'origine, chaque vers est noté par un chiffre d'ordre, tandis que ses deux hémistiches sont notés par ou par ; l'orthographe des vers anciens a été modernisée. Les sources des hémistiches 1b, 2a, 2b, 3b, 7a, 8b et 10b, non rééditées autrement depuis le XVIème et le XVIIème siècles, peuvent être consultées dans l'anthologie de Jacques Roubaud, Soleil du Soleil, P.O.L, 1990)

Premier quatrain:

Deuxième quatrain :

Premier tercet:

Deuxième tercet:


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